dimanche 29 janvier 2012

Les cumulards et la censure
Ou quand les mêmes journalistes et chroniqueurs envahissent les médias pour tenir toujours le même discours...
  On le sait depuis longtemps mais une piqûre de rappel n'est jamais inutile. La censure et l'autocensure sont les maîtres mots de la sphère médiatique. Beaucoup de travaux - ceux de Pierre Bourdieu par exemple sur la télévision - nous ont appris à décrypter le travail des cumulards des antennes. Le  film "Les nouveaux chiens de garde" nous permet de constater qu'entre la télévision des années ORTF et celles des années 2010, la différence est infime. Tout est dans la manière : la censure est aujourd'hui plus fine.
  Les journalistes et chroniqueurs en vue, les principaux dirigeants politiques et les grands chefs d'entreprise  sont main dans la main et sont partout. Ils se retrouvent chaque semaine au Cercle pour mettre au point leurs discours de propagande. Un discours bien huilé qui peut s'exprimer ainsi : "Il faut en finir avec le modèle social français, travaillez plus cher Français privilégiés si vous voulez gagner plus de 1300 euros nets par mois, soyez flexibles, fermons les services publics qui coûtent cher et supprimons ces fonctionnaires improductifs, regardez ailleurs comme c'est mieux que chez nous, vive la réforme même la plus anti sociale, faisons croire au bon peuple que toutes les réformes sont positives même celles qui accablent toujours davantage la majorité des citoyens". L'essentiel pour tous ces gens n'est pas de croire à ce qu'ils disent mais de faire croire pour qu'ils puissent maintenir leurs postes et leurs intérêts.
   Dans le domaine dit politique, les Duhamel, Elkabbach et autres Slama  règnent comme des potentats depuis une quarantaine d'années. Les renégats Philippe Val et Michel Field leur emboitent le pas allègrement.   
   Dans le domaine économique, les Godet, Minc, Lorenzi, Daniel Cohen et autres Christian de Boissieu matraquent à longueur de journées, sur toutes les chaînes, le même discours libéral et anti social.
   Dans tous les domaines, les faux débats éliminent les vrais. On s'amuse, en regardant le film, des échanges entre Jacques Julliard et Luc Ferry, exemple type du faux échange démocratique. Une chose est sûre : il est impossible de débattre en dehors des frontières fixées. Nous sommes bien placés pour le savoir dès qu'il s'agit d'analyser le phénomène social sur lequel nous travaillons. Une fois par an (ou tous les deux ans), quand je suis invité sur une antenne nationale, je lance à qui veut bien entendre : "L’amoureux du sport - pratiquant ou défenseur aveugle, homme politique, intellectuel, etc - cherche non seulement à ce que le consensus porte sur les valeurs du sport mais aussi sur les frontières qui circonscrivent le débat". Frédéric Lordon dit exactement la même chose à propos du débat économique. Comme ses amis Jean Gadrey ou Jean-Marie Harribey, Lordon passe une fois à la télévision quand Michel Godet et Elie Cohen passent 100 fois. On donne des miettes d'antenne aux critiques de l'ordre social. Mettre en cause une institution est impossible.
   Et tous ces messieurs les Jacques Attali, Pascal Boniface, Christine Ockrent, Dominique Reynié et autres Christophe Bouchet nous donnent quotidiennement non seulement leur avis toujours conservateur sur tous les sujets de société (l'omniscience est révoltante)  mais surtout de grandes leçons de morale. Certains arrivent même à dire du mal (disons plus exactement à faire quelques reproches feutrés) de la classe politique qu'ils côtoient régulièrement. Une classe qui défend les mêmes intérêts mais qui profite souvent beaucoup moins que les journalistes eux-mêmes du cumul des mandats (tous ces éditorialistes qui sont à la radio, dans la presse écrite, et qui obtiennent des chroniques régulières alors que d'autres cherchent vainement le moindre temps de parole).
   Honte à tous ces experts et hommes de médias qui gagnent 10, 20 ou 30 fois le SMIC par mois en monnayant leur prétendu savoir dans des conférences facturées chacune entre 10 000 et 30 000 euros !  
   Honte à ceux qui font la leçon en permanence aux salariés en lutte et aux fonctionnaires en grève !
   Honte à tous ces cumulards qui veulent faire croire que la presse est libre !
   Nous vivons sous  un régime de censure discrète. Ce n'est pas l'Union soviétique, ce n'est pas l'ORTF, c'est beaucoup plus subtil.